HGGSP – L’environnement en France: des progrès et des reculs (Le Monde 24.03.2025)

Article issu de : Le Monde, 24 mars 2025.
L’Etat tarde à publier un document dressant un panorama complet de l’état des écosystèmes du pays.
Cent quarante pages pour ausculter les maux d’une nature sous pression. Le der- nier rapport sur l’état de l’environnement en France offre une synthèse éclairante de certaines améliorations, mais aussi de la dégradation des écosystèmes français. Alors que ce document est habituellement publié tous les cinq ans, l’édition 2024, que Le Monde s’est procurée, est pour le moment restée dans les tiroirs. Elle devait pourtant être rendue publique « avant fin janvier » 2025, lors d’un « événement (…) permet- tant à la ministre [de la transition écologique] de s’exprimer sur les progrès récents », selon plusieurs notes administratives consultées par Le Monde. Agnès Pannier-Runacher envisageait même une conférence de presse. Mais la première version du rapport, disponi- ble dès la fin 2024, n’a pas convenu à son cabinet, qui souhaitait « mieux mettre en avant les tendances d’évolution qui sont bonnes et portent leur fruit », selon ces notes. Les agents du service des don- nées et études statistiques (SDES), rattaché au Commissariat général au développement durable, qui ont concocté le document, ont donc renvoyé une version fin janvier, en mettant en valeur certains indicateurs-clés et les évolutions entre 2019 et 2024, quand les données scientifiques le per- mettaient. Ils ont aussi ajouté un résumé de quatre pages.
Mais, malgré neuf versions successives, les contacts se sont espacés avec le cabinet de la ministre, et aucune date de publication n’est prévue. A tel point que cer- tains agents du SDES, « frustrés par ce blocage » à un moment où l’éco- logie disparaît du débat public, ont préparé une lettre à Agnès Pan- nier-Runacher pour lui rappeler que la France s’est engagée, en si- gnant la convention d’Aarhus, à publier tous les cinq ans ce pano- rama complet, ce que tous les gou- vernements ont fait depuis 1994.
L’entourage de la ministre explique ce retard par le « calendrier politique des derniers mois » et assure que les demandes de modifications étaient purement formelles, visant à «mettre en avant les tendances, qu’elles soient bonnes ou mauvaises ». « Il n’y a pas de sujet de fond, d’autant plus que les don- nées que contient le rapport sont déjà publiques », affirme le ministère, qui promet qu’il sera publié « dans les prochaines semaines ».
A travers des infographies, des interviews de scientifiques et des textes clairs, ce document ex- plore quatre thématiques fonda- mentales : l’épuisement des res- sources naturelles, la pollution des milieux naturels, le change- ment climatique et le déclin de la biodiversité. Si les efforts paient dans certains domaines, l’écono- mie et les modes de vie conti- nuent de peser sur les écosystè- mes et, in fine, sur la santé des Français et la résilience de beau- coup de filières économiques.
Cette revue des données existantes permet aussi de compren- dre les interactions et la globalité du défi écologique, trop souvent résumé à l’urgence climatique. « L’extraction de ressources natu- relles constitue une source de pollution des milieux naturels, qui elle-même contribue au change- ment climatique, ce dernier étant l’un des facteurs aggravants du déclin de la biodiversité », soulignent ainsi les auteurs.
Quelques indicateurs connais- sent une évolution positive. Ainsi, grâce aux évolutions technologiques et au durcissement des normes dans les transports ou l’industrie, la qualité de l’air s’améliore. Depuis 2000, la baisse du dioxyde d’azote a été de 53 % et celle du dioxyde de soufre de 87 %. Cette amélioration globale n’empêche pas des situations beaucoup plus dégradées dans les agglomérations de l’Ile-de- France, de l’est du pays et à Mayotte lors des pics de canicule.
« Factuel et non moralisateur »
Autre indicateur plutôt favorable, grâce aux quotas, la surpêche tou- che moins de populations de poissons (de 53 % à 41 % entre 2000 et 2021) alors que ce taux est en nette augmentation dans le monde (de 27 % à 38 %). Et, depuis la fin du XIXe siècle, la forêt continue de gagner du terrain : elle couvrait 19 % du territoire en 1908, contre 32 % aujourd’hui. Sauf que la mortalité des arbres et leur croissance sont affectées par le changement climatique et la prolifération de bioravageurs. Entre 2014 et 2022, la croissance des arbres n’a plus été que de 0,9 mètre cube par hectare et par an, contre 2,5 entre 2005 et 2013.
Enfin, parmi les indicateurs qui auraient pu être mis en avant par la ministre de la transition écologique, la diminution des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine se poursuit (– 31 % entre 1990 et 2023). Cette évolution est due principalement aux pro- grès dans les secteurs de l’indus- trie (– 54 %) et du bâtiment (– 37 %), et s’est accélérée en 2023 (– 5,8 %), mais va sans doute connaître un ralentissement en 2024. Pour te- nir la trajectoire de – 55 % en 2030, la moyenne devra se maintenir à – 4,5 % par an. «Les actions indivi- duelles et collectives nécessitent d’être renforcées », préconisent les auteurs, qui rappellent que « l’empreinte carbone de la France est incompatible avec l’accord de Paris [visant à limiter le réchauffe- mentà+1,5°C]».
Sur ce sujet, le rapport n’omet pas les défis écologiques de la transition énergétique. Pour s’extraire des fossiles (63 % de l’énergie to- tale consommée en 2022), l’électrification des véhicules et la production d’énergie d’origine renouvelable vont nécessiter l’extraction de métaux comme le lithium.
Plusieurs projets miniers sont en cours de développement en France. Un défi, alors que de nom- breux sites portent encore les sé- quelles de leur passé industriel et minier. En 2023, plus de la moitié des 3316 sites et sols pollués re- censés dans la base de données Basol, et dont le polluant est connu, le sont par des métaux lourds (1 748 sites), 23 % par l’arse- nic (768 sites) et 13 % par le mer- cure (445 sites). « La grande force de ce genre de document est de ne pas regarder le problème écologi- que par un seul prisme et surtout d’être factuel et non moralisateur sur nos modes de vie, estime Anne Bringault, directrice des program- mes de Réseau Action Climat. Il y a de multiples signaux d’alerte très forts. Il ne suffit pas de changer à la marge certaines choses, il faudrait une transformation radicale qui s’appuie sur une limitation de la consommation de ressources. »
Car les modes de vie actuels continuent à malmener des écosystèmes de plus en plus affaiblis par le réchauffement climatique. La ressource disponible en eau a ainsi diminué de 14 % entre les périodes 1990-2001 et 2001-2022, notamment à cause de l’évapotranspiration plus importante. Et l’agriculture, à cause principale- ment de l’irrigation, représente 60 % de la consommation d’eau, celle qui n’est pas rendue immédiatement aux milieux aquatiques. « On vient d’avoir des débats sur une loi d’orientation agricole, et les discussions auraient peut- être pu être un peu différentes avec cette mise en perspective, analyse Antoine Gatet, président de France Nature Environnement. C’est indispensable pour penser les décisions publiques. »
Les pollutions liées à l’usage des pesticides sont toujours aussi pré- occupantes. Le rapport souligne, certes, la diminution progressive des plus dangereux (– 35 % sur le volume des molécules considérées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction entre 2015-2017 et 2020-2022.
Mais 68 600 tonnes de substances actives ont été vendues en 2022, un volume proche de la moyenne des ventes déclarées entre 2009 et 2021 (+ 1 %). Un autre indicateur, le nombre de doses unités, qui mesure l’intensité
de l’usage des produits de traitement, a connu une diminution de 11,5 % en 2020-2022 par rapport à la moyenne 2015-2017. Mais il ne baisse plus depuis trois ans.
L’hyper consommation a des conséquences immenses sur les écosystèmes. Le plastique, recyclé seulement à hauteur de 21 %, se fragmente en particules dans l’air, les cours d’eau, les sols et jusqu’en mer, où la densité de micro plastiques varie de 17 000 à 88 000 unités/kilomètre carré en France
métropolitaine, la Méditerranée étant la plus touchée. Alors que le rapport souligne que ces pollutions doivent encore être mieux mesurées, les contaminations de plans d’eau et de rivières par les PFAS, ces « polluants éternels » générés par l’industrie, existent dans chaque bassin-versant.
La biodiversité française paie un tribut particulièrement lourd.
Alors que l’indice de risque d’extinction des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature a doublé en métropole entre 2000 et 2023 (17 % des espèces risquent la disparition), il atteint des proportions dramatiques à La Réunion (46 %) et est en augmentation
rapide dans d’autres territoires d’outre-mer (+ 74 % à Wallis-et-Futuna, + 188 % à Mayotte). Ces lieux sont cruciaux puisque l’outremer abrite 84 % des 21 976 espèces endémiques de la France et 10 % des récifs coralliens mondiaux.
Même si le rapport relève la réussite de certaines politiques de protection sur des animaux emblématiques (le castor et la loutre avaient quasiment disparu à la fin du XXe siècle, l’un de ces deux animaux ou les deux en même temps sont maintenant présents dans 61 % des mailles de 10 kilomètres sur 10 kilomètres du territoire), les populations d’autres espèces sont en chute libre. Ainsi, entre 1989 et 2023, le nombre d’oiseaux présents en milieux bâtis s’est effondré de 44 %.
Haies arrachées
Les milieux les plus riches en espèces diminuent. La surface de prairies en France est passée de 13,2 millions d’hectares à 9,6 entre 1950 et 2020. Et les dernières années, malgré la replantation annuelle d’environ 7 000 kilomètres de haies, plus de 23 500 kilomètres ont été arrachés tous les ans. L’utilisation des produits chimiques entraîne une dévitalisation des sols et une très grande mortalité des insectes pollinisateurs nécessaires à « 70 % des espèces cultivées pour l’alimentation en France », rappelle le texte.
En 2021, l’argent consacré à la lutte contre toutes ces pollutions s’élevait à 46 milliards d’euros, en augmentation de 24,5 milliards par rapport à 2020. Ces montants importants, supportés par l’Etat, les collectivités et le secteur privé, restent pourtant « inférieurs au coût global de la pollution supporté par la société, incluant notamment l’augmentation des dépenses de santé,
la perte de biodiversité, la baisse des rendements agricoles, la dégradation des bâtiments, etc. », précise le rapport. Un énième signal aux décideurs politiques, qui avaient nettement augmenté le budget vert à l’automne 2023, avant de procéder à des coupes drastiques à cause du déficit excessif de la France.
Matthieu Goar