HGGSP – Revue de presse : La guerre et les massacres en ex-Yougoslavie

Succès et échecs du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Le Point, 25 novembre 2017.

La condamnation à perpétuité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie Ratko Mladic n’est une surprise pour personne. Dès son arrestation en 2011, le seul suspense était en réalité de savoir s’il resterait en vie jusqu’à l’énoncé du verdict compte tenu de sa santé fragile.
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En dehors de plusieurs procès en appel actuellement en cours, le cas de Mladic était le dernier procès que le TPIY aura mené avant de fermer très prochainement ses portes. L’heure est donc venue de dresser un bilan de l’action du TPIY. On peut à cet égard distinguer trois dimensions.
Un tribunal pionnier
La première est celle de la justice internationale. Certes, le TPIY fut créé en 1993 par le Conseil de sécurité de l’ONU comme une compensation à l’inaction des grandes puissances devant le conflit, et face à l’inanité que fut l’envoi de Casques bleus censés maintenir une paix qui n’existait pas. Pour autant, juges et procureurs sont parvenus à crédibiliser le TPIY, lui donner des règles, des objectifs, des ambitions.
En ce sens, ce tribunal est un pionnier en matière de justice internationale. Il est la preuve de la possibilité de juger des criminels de guerre, y compris des chefs d’État. Il a ouvert la voie au Tribunal pour le Rwanda, à la Cour pénale internationale (CPI), et à la pratique, aujourd’hui courante, de traduire – ou du moins d’avoir l’espoir plus tout à fait utopique de pouvoir un jour traduire – en justice des criminels de guerre d’où qu’ils viennent.
Par-delà les griefs réels que l’on peut lui faire (notamment celui, très grave, d’avoir fait un procès inique à son ancienne porte-parole Florence Hartmann), chacun reconnaît que sans le TPIY, aucune action de justice n’aurait eu lieu dans les pays de l’ancienne Yougoslavie. Enfin, la fermeture du TPIY ne clôt pas l’action de la justice internationale dans l’ancienne Yougoslavie puisqu’un nouveau tribunal spécial, qui devra juger les crimes commis par les anciens de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), vient d’ouvrir ses portes.
Vérité processuelle et vérité historique
La seconde dimension est celle de l’histoire. Le TPIY laisse aux chercheurs des millions de pages d’archives, de témoignages, de pièces à conviction et de faits établis. Nous savons grâce aux enquêtes du TPIY qui a fait quoi à qui, où, comment et avec qui, un degré de précision remarquable. Seulement, c’est dans cette dimension historique que réside probablement la plus inquiétante ambiguïté de l’héritage du TPIY.
À travers une série d’acquittements récents profondément discutables en droit (Gotovina, Stanisic et Simatovic, Seselj, Haradinaj), certains juges du tribunal n’ont pas seulement renversé quelques pratiques de droit international, ils ont aussi pris à revers le travail des historiens qui avaient pourtant établi, dès la fin des années 1990, une architecture intellectuelle de la guerre que même les principaux artisans du conflit admettaient. Seule une distinction entre vérité processuelle et vérité historique permet au TPIY de sauver la face au regard de verdicts qui allaient à l’évidence contre la vérité historique.
L’exemple des acquittements en première instance des Serbes Jovica Stanisic et Franko Simatovic est le plus frappant. Ces deux hommes étaient au sein des services de sécurité serbes ceux qui faisaient le lien entre le régime de Belgrade et les unités paramilitaires sur le terrain en Bosnie. Autrement dit, leur activité – consistant à fournir des ordres, des armes et de l’argent aux milices – est la preuve de l’implication directe de la Serbie dans la guerre, qui n’est donc absolument pas une « guerre civile » limitée à la Bosnie. Or, les acquitter, comme le TPIY l’a fait, revient à dire que cette architecture intellectuelle de la guerre dans laquelle le régime de Milosevic porte la plus lourde responsabilité ne tient plus !
Lorsque le chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, a été condamné, le nom de Vojislav Seselj était mentionné dans « l’entreprise criminelle conjointe serbe » visant à créer une Grande Serbie au moyen de la purification ethnique. Pourtant, quelques jours plus tard, ce même Seselj était acquitté par d’autres juges de ce même tribunal pour ce chef d’inculpation. Autrement dit, d’une semaine à l’autre, sur le plan historique et intellectuel, on ne parle plus du tout de la même guerre ! Il y a donc un paradoxe à ce que le tribunal ait cherché à établir les faits et la vérité, tandis que certains de ses verdicts viennent en appui aux thèses révisionnistes enseignées dans les livres d’histoire dans la région.
Introuvable réconciliation
Pour finir, la troisième dimension est celle de la réconciliation. Il était espéré que l’établissement incontestable des faits, et la force des verdicts prononcés permettraient aux acteurs de la région de faire un effort d’introspection et de tendre la main en reconnaissant à la fois ses propres crimes, mais aussi la souffrance de l’autre. De ce point de vue, force est de reconnaître que le compte n’y est pas.
Le TPIY a échoué à être considéré comme un acteur neutre et légitime auprès des opinions publiques locales. Cela est particulièrement vrai chez les Serbes, qui considèrent que ce tribunal a été créé pour les sanctionner spécifiquement. Il serait néanmoins injuste de faire porter au TPIY la responsabilité de l’échec d’un processus de réconciliation dont les responsables politiques locaux n’ont, en réalité, jamais voulu.
La raison à cela est simple : ceux qui gouvernent aujourd’hui dans la région sont ceux qui étaient déjà là il y a 20 ans, eux ou leur parti. Ils n’ont donc aucun intérêt à dévier d’une ligne nationaliste qui permet toujours à chacun de mobiliser son propre camp et de conserver le pouvoir.
De ce point de vue, Mladic est peut-être condamné, mais l’héritage de la guerre se porte très bien. Les leaders nationalistes bosniaque, croate et serbe de Bosnie sont des alliés objectifs qui se livrent à chaque élection à des surenchères verbales qui ne sont que le masque grotesque de leur complicité. C’est pourquoi le président de l’entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a déclaré après le verdict que Ratko Mladic était un héros pour le peuple serbe.
Or, là encore, il s’agit d’un funeste retournement pour les Serbes eux-mêmes. Pourquoi ? Parce qu’en vue de cette réconciliation, le TPIY a toujours expliqué qu’il poursuivait des individus et non pas des peuples, qu’il n’existait pas de culpabilité collective. Sauf que désormais, ce sont les leaders serbes eux-mêmes qui acceptent de faire porter au peuple serbe cette culpabilité collective en clamant que Mladic est un héros, ou en souhaitant qu’un autre criminel de guerre à peine sorti de prison devienne instructeur dans l’armée. Le TPIY n’a jamais dit que les Serbes étaient collectivement coupables, c’est Milorad Dodik qui vient de le faire en faisant de Ratko Mladic un « héros du peuple serbe ». Cette difficulté de regarder en face sa propre histoire est un phénomène de dissonance cognitive très courant, qui ne peut que saper les efforts pour une meilleure compréhension mutuelle.
Triple agenda
Au vrai, des tentatives de réconciliation ont bien lieu, poussées par les organisations de la société civile. Le projet Recom, qui vise à créer une grande commission vérité et réconciliation, est toujours au point mort, car aucun gouvernement n’en veut vraiment. Il existe également des projets de manuels d’histoire communs pour lutter contre le révisionnisme officiel. Néanmoins, cela ne peut que rester marginal sans volonté politique forte de s’engager sur cette voie.
Les acteurs extérieurs, comme l’Union européenne, peuvent-ils jouer un rôle dans ce processus de longue haleine ? L’équilibre est fragile entre d’un côté, la possibilité politique et juridique pour l’UE et les États membres de faire pression sur les États candidats (ce qui exclurait malheureusement la Croatie) afin de mettre en œuvre le projet Recom, et de l’autre l’hostilité immédiate que le projet susciterait s’il était perçu comme imposé de l’extérieur. Il en va de même en ce qui concerne la question cruciale des personnes disparues dans la mesure où œuvrer pour les retrouver fait partie des obligations des États candidats à l’UE au titre du chapitre 23 des négociations.
Croire en la justice internationale grâce au TPIY, lutter pour la vérité historique malgré le TPIY, et travailler à la réconciliation par le bas par-delà le TPIY : voilà le triple agenda qui s’ouvre à présent que le TPIY ferme ses portes.
*Loïc Trégourès est docteur en science politique, chercheur au Ceraps (université de Lille 2).

Massacre de Srebrenica : la justice réduit la responsabilité de l’État néerlandais. L’Express. Le 19 juillet 2019.

afp.com/Remko de Waal
Dans le pays, le sujet reste sensible. La Cour suprême des Pays-Bas a réduit ce vendredi la responsabilité de l’Etat néerlandais dans la mort de plusieurs centaines d’hommes musulmans lors du massacre de Srebrenica en 1995, une des pages les plus noires de la guerre de Bosnie (1992-1995), jugeant qu’il n’avait qu’une responsabilité “très limitée”.
La Cour a ramené la responsabilité de l’Etat néerlandais à 10% des dommages subis par les familles d’environ 350 des victimes tuées par les forces serbes de Bosnie, contre 30% en appel deux ans auparavant.
“Nous avons subi humiliation après humiliation. Nous n’avions même pas d’interprète pendant l’audience”, a déclaré Munira Subasic, présidente des “Mères de Srebrenica”, une association de proches des victimes qui se bat depuis des années pour obtenir une reconnaissance de la responsabilité de l’Etat néerlandais. À Srebrenica, “chaque vie a été enlevée à 100 %. Nous ne pouvons rien faire avec 10%”, a poursuivi Munira Subasic, qui a perdu son époux et son fils de 16 ans. Deux os étaient tout ce qu’elle a retrouvé des restes de son enfant, a-t-elle témoigné, soit “moins de 10% de son corps”.
Des réfugiés laissés aux Serbes
Le rôle des Casques bleus néerlandais déployés dans l’enclave de Srebrenica, limitrophe de la Serbie et placée sous la protection des Nations unies lors du conflit, reste un sujet sensible aux Pays-Bas où d’anciens soldats affirment être marqués à jamais.
Connus sous le nom de “Dutchbat” et retranchés dans leur base, les Casques bleus néerlandais avaient recueilli des milliers de réfugiés dans l’enclave lorsqu’elle a été prise le 11 juillet 1995 par les forces serbes de Bosnie.
Mais, submergés, ils avaient permis aux Serbes de Bosnie d’évacuer les réfugiés. Les hommes et les garçons avaient alors été séparés et mis dans des bus. Au total, près de 8000 hommes et garçons musulmans ont été tués au cours du massacre.
Chances de survie
Près de 25 ans après les événements meurtriers, la plus haute juridiction du pays a donc dédouané en partie l’État néerlandais, estimant que sa responsabilité ne pouvait être démontrée que dans une faible mesure. “L’État néerlandais a une responsabilité très limitée, (…établie) à 10% des dommages subis par les familles d’environ 350 victimes”, a déclaré lors d’une audience le juge président Kees Streefkerk.
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La juridiction a établi ce pourcentage en fonction de la chance de survie de ces hommes et garçons musulmans si les Casques bleus néerlandais n’avaient pas permis leur évacuation par les Serbes de Bosnie, avant d’être conduits vers la mort.
La Cour suprême estime en effet que “l’État avait agi à tort” concernant ces 350 musulmans livrés aux Serbes alors que ceux-ci ignoraient leur présence. Les Casques bleus néerlandais “ne leur ont pas laissé le choix de rester là où ils étaient, alors que cela aurait été possible”, ont estimé les juges. Les laisser rester ne leur aurait pas forcément sauvé la vie, mais “leurs chances d’échapper aux Serbes de Bosnie si on leur avait donné le choix de rester étaient minces, mais pas négligeables”, ont-ils poursuivi.
Démission du gouvernement en 2002
Certains Casques bleus néerlandais qui ont servi à Srebrenica ont indiqué par le passé s’être sentis délaissés par leur hiérarchie et par le gouvernement. L’un d’entre eux, âgé de 19 ans au moment des faits, était “déçu” à l’issue de l’audience.
Ce qui s’est passé à Srebrenica reste un épisode douloureux dans l’histoire des Pays-Bas. De premières informations sur le rôle de l’Etat néerlandais avait conduit le gouvernement entier à démissionner en 2002.
Deux grands noms de la guerre de Bosnie ont été condamnés notamment pour leur rôle dans le massacre à Srebrenica : l’ex-chef politique des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, 73 ans, condamné en appel à la prison à perpétuité, et son alter-ego militaire Ratko Mladic, 76 ans. Surnommé le “boucher des Balkans”, ce-dernier a fait appel après avoir été condamné à la même peine.
Ressource supplémentaire : Site internet du TPIY (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie)